Johan, pouvez-vous vous présenter ?
Je suis Johan Deleuze, je suis responsable du service de transport urbain Tout’enbus depuis la création en 2007.
À l’origine, qu’est-ce qui vous a motivé à vous engager dans le domaine de la mobilité ?
J’ai une Maitrise en aménagement du territoire avec une maîtrise et j’ai souhaité revenir en Ardèche. L’urbanisme et la mobilité m’ont toujours intéressé, et je voulais contribuer au développement de mon territoire.
En 2006, il y a eu un petit choc pétrolier qui a fait réaliser aux gens que posséder une voiture devenait de plus en plus coûteux. C’était un moment opportun pour moi de m’investir en Ardèche, de répondre à cette demandes des habitants et d’explorer des solutions en matière de mobilité.
L’objectif était de rendre service aux Ardéchois, de développer des initiatives qui améliorent leur quotidien. Bien sûr, les gorges et le tourisme sont des aspects importants, mais il y a aussi toute une vie locale à soutenir.
Pouvez-vous nous présenter le contexte de la création de l’offre de mobilité ?
En 2007, la Communauté de Communes du pays d’Aubenas-Vals a initié une étude sur l’habitat et le transport en réponse aux attentes des habitants exprimées dans un questionnaire adressé à 600 personnes. À la surprise des élus, la priorité des habitants était clairement les transports, alors que l’on aurait pu s’attendre à d’autres services comme une piscine ou des structures pour la petite enfance.
Globalement, on pensait que tous les habitants avaient des facilités de déplacement, des voitures mais en fait, pas du tout.
Cela a conduit à la formulation d’un cahier des charges pour une étude approfondie sur l’habitat et la mobilité. Suite aux conclusions de cette étude, les élus ont décidé de s’engager davantage en faveur de la mobilité en lançant une étude détaillée pour mettre en place des services de transport sur 2 communautés de communes.
En fait, j’ai été chargé de superviser l’étude initiale, la mise en place du service de transport, ainsi que de réfléchir à son organisation. Quand je parle du service, je fais référence non seulement aux lignes, mais aussi à l’aspect administratif. Plusieurs options étaient envisageables.
Pour ce qui est des lignes, ma bonne connaissance du territoire et des flux de déplacement m’a permis de mettre en place rapidement des lignes adaptées. Du côté administratif, différentes possibilités étaient envisageables, et nous avons opté pour la création d’un syndicat de transport à vocation unique avec les communes volontaires des deux communautés de communes pour la gestion des lignes de transport.
Pour mettre en place un réseau, il est essentiel de bien connaître le territoire. Cela implique une compréhension approfondie de ses aspects économiques, de l’habitat, et de son fonctionnement général. Il est également crucial d’avoir une bonne connaissance des flux de circulation. En voiture, on peut observer où les gens circulent, à quels horaires ils se déplacent, comme les heures d’entrée et de sortie du travail, les périodes de pointe etc.
Notre approche consiste donc à éviter de perturber le fonctionnement du réseau existant. Cela implique de trouver des variantes de parcours ou des ajustements horaires afin de répondre aux besoins des usagers tout en assurant la fluidité du service. C’est ainsi que nous avons construit notre réseau.
Quels ont été les premiers retours de la mise en place du service ?
Nous avons décidé de mener un essai sur deux ans pour évaluer l’utilisation du réseau urbain Tout’enbus. À l’époque, le département de l’Ardèche avait la compétence en matière de mobilité et nous avions leur accord.
À partir de 2009, suite à ce test plutôt concluant, nous avons établi une entité dédiée, le syndicat de transport, regroupant 6 communes. Aujourd’hui, ce syndicat en compte 11. Nous les avons intégrées progressivement et avons étendu notre zone d’action entre 2009 et 2019.
En même temps, nous avons élargi notre champ d’action à la mobilité. Nous avons développé d’autres services comme la location de vélos, la création de parkings de covoiturage, et la mise en place d’un service d’autopartage.
En 2017, La Communauté de Communes du pays d’Aubenas-Vals est devenue la Communauté de Communes du Bassin d’Aubenas, tandis que la Loi d’orientation des mobilités a été adoptée en 2019. Quelles ont été les répercussions de ces changements sur le service de mobilité ?
En 2019, la loi LOM a transféré la compétence mobilité aux Communautés de Communes. La Communauté de Communes du Bassin d’Aubenas n’a pas souhaité conserver la compétence mobilité, pour plusieurs raisons : elle n’était pas suffisamment structurée en termes de personnel et cela aurait eu un impact sur l’organisation interne car il aurait fallu assurer l’organisation des transports sur l’ensemble des communes de la communauté de communes.
Ainsi, c’est la région Auvergne-Rhône-Alpes qui est devenu la nouvelle Autorité Organisatrice de Mobilité. À l’époque, la possibilité de créer un syndicat mixte regroupant plusieurs Communautés de Communes et la Région était envisagée. Cependant, les délais imposés par la loi LOM étaient trop courts, ce qui a conduit à la dissolution du syndicat de transport et au transfert de responsabilité à la région en tant qu’AOM.
Donc, c’est la région qui administre le réseau Tout’enbus ?
Alors oui et non. La région détient la compétence en matière de mobilité mais elle a préféré confier la gestion opérationnelle du service à la Communauté de Communes du Bassin d’Aubenas. Cela s’est concrétisé par ce qu’on appelle une convention de délégation entre la Région et la Communauté de Communes.
En gros, la région délègue la gestion du service à la Communauté de Communes, tout en assurant le financement de celle-ci. De notre côté, nous sommes des agents régionaux mis à disposition de la Communauté de Communes pour assurer cette gestion.
Pouvez-vous décrire la Communauté de communes ?
La zone desservie par le service Tout’enbus comprend principalement des communes urbaines et péri-urbaines autour d’Aubenas. Pour vous donner une idée, la Communauté de Communes compte 28 communes et 45000 habitants. Le service dessert quant à lui 11 communes et 35000 habitants, ce qui en fait une zone urbaine dense pour l’Ardèche, avec une concentration de services publics, d’écoles et d’entreprises, notamment à Aubenas, Lachapelle-sous-Aubenas et Vals-les-Bains.
Cette orientation urbaine était donc logique. Un jour, une personne âgée m’a confié « C’est super, grâce au service, je peux rester chez moi. ». Elle devait aller en maison de retraite mais grâce à la mobilité offerte par le service, elle a pu continuer à vitre chez elle. Cela montre que le service Tout’enbus joue également un rôle social important en soutenant les personnes âgées, les jeunes et ceux en difficulté financière ou qui n’ont pas de permis de conduire.
Le territoire ne dispose plus de gare ferroviaire. Est-ce un réel sujet pour la mobilité sur le territoire ?
Nous n’avons en effet plus de gare ferroviaire mais il existe des autocars régionaux pour se rendre à la gare de Montélimar ou de Valence. Mais les lignes de chemin de fers ne sont pas délaissées pour autant car celles-ci se convertissent en voies vertes et pistes cyclables, offrant ainsi un service différent qui favorise une mobilité moins polluante et plus variée. C’est un changement de société indéniable.
Depuis la création du service, beaucoup de choses ont évolué. Vous disposez maintenant de locaux pour accueillir les voyageurs. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Avec l’élargissement de l’offre de mobilité, la mise en place de nouvelles lignes et l’arrivée des nouvelles technologies, nous avons progressivement recruté.
En 2019-2020, nous avons créé la Maison de la Mobilité pour intégrer le transport dans la vie quotidienne des habitants du territoire. Cette structure a pour vocation de répondre à toutes les demandes liées à la mobilité, incluant non seulement les transports en commun, mais aussi l’autostop, l’autopartage et le covoiturage.
Que proposez-vous à la Maison de la Mobilité ?
Nous y proposons des services pour le transport local Tout’enbus, les lignes de cars régionaux, ainsi que la vente de titres SNCF pour le compte de la SNCF. L’objectif est de centraliser l’information et la vente de tout ce qui concerne la mobilité en un seul endroit.
Nous aidons également les usagers à comprendre le fonctionnement des transports, les tarifs et les horaires à travers de petites formations. Par exemple, la semaine dernière, j’ai accueilli des représentants d’Aubenas pour leur expliquer le fonctionnement et les tarifs du service. Bien que certains découvrent encore ces informations, il reste beaucoup à faire pour diffuser efficacement l’information aux voyageurs.
Nous offrons également des outils comme les applications de mobilité, telles que Hubup, de plus en plus utilisées. Il est donc crucial de continuer à former et informer les utilisateurs sur le réseau. Au fil des années, nous avons constaté que les gens connaissent mieux le réseau et utilisent plus fréquemment les applications, ce qui a conduit à une diminution des réclamations.
Grâce à l’expérience des conducteurs, leur utilisation de Geolite, une meilleure connaissance des usagers et l’utilisation de services numériques, nous avons pu améliorer la qualité du service.
Quelles mesures pourriez-vous prendre pour encore améliorer l’offre de mobilité ?
Nous envisageons de développer de nouvelles lignes et/ou d’optimiser les lignes actuelles, mais nous devons également prendre en compte les questions environnementales. Mettre des bus partout n’est pas toujours la solution idéale. Il est donc crucial d’optimiser le service en desservant principalement les pôles les plus peuplés et en tenant compte des projets d’urbanisme et économiques.
Nous essayons de construire un réseau structuré avec des lignes principales et quelques lignes secondaires, mais il n’est pas possible de desservir tous les secteurs. Nous encourageons aussi les collectivités locales à promouvoir d’autres modes de déplacement comme le covoiturage, le vélo et la marche à pied.
Pour moi, les lignes de bus constituent l’ossature de notre système de mobilité, mais il est essentiel de développer et d’intégrer de nouvelles formes et options de déplacement.
Il y a deux aspects à considérer : la durée des trajets et la capacité du service à concurrencer la voiture. Actuellement, de plus en plus de personnes optent pour les transports en commun pour se rendre à des événements comme le marché du samedi matin, où les places de stationnement en centre-ville sont rapidement prises pendant les heures de pointe. Certaines personnes se dirigent vers des points d’arrêt en périphérie ou vers des parkings de covoiturage à proximité avant de prendre le bus.
Nous envisageons aussi de développer une liaison plus directe entre la gare et le centre-ville. L’idée serait d’instaurer une navette avec deux véhicules toutes les 15 minutes aux heures de pointe, et une navette régulière toutes les 30 à 45 minutes le reste du temps, entre la gare et le centre-ville.
Ce projet vise deux objectifs principaux : améliorer la connectivité entre les quartiers hauts et bas pour les usagers et fournir des informations plus accessibles. De plus, il permettrait de limiter la circulation des gros véhicules dans le centre-ville en utilisant la gare comme terminus principal, avec un système de navettes desservant les principaux arrêts comme la Paix, la gendarmerie et la gare routière, qui sont les plus fréquentés.
Des structures travaillent sur diverses solutions de mobilité. Actuellement, en Ardèche, il est courant qu’une personne seule possède deux voitures, ce qui est un véritable problème.
Les moyens de transport sont assez limités et les services parfois éloignés. De fait, les gens continuent à utiliser leurs voitures.
Cela dit, de nouvelles formes de mobilité sont mises en place, soutenues par diverses collectivités, associations, et autres organisations. Par exemple, des initiatives existent pour aider les personnes en difficulté de mobilité, comme l’association Mobilité 07-26 qui propose la location de mobylettes, l’obtention d’un permis de conduire solidaire à moindre coût, ainsi que des formations sur les différents moyens de transport et leurs coûts.
Des structures et collectivités se concentrent sur l’autopartage, en offrant notamment des véhicules électriques à la location. Par exemple, la Communauté de Communes Privas Centre Ardèche participe activement à ces initiatives. Certaines associations se consacrent à la réparation de vélos. De nombreuses structures œuvrent autour des mobilités complémentaires aux bus pour développer une gamme diversifiée de solutions de transport.
Il est également nécessaire de réfléchir à la manière d’intégrer et de coordonner ces nouvelles formes de mobilité, comme l’accueil des vélos dans les bus ou l’augmentation des fréquences de passage à proximité des parkings de covoiturage.
Même si des services de transport sont en place, l’utilisation des voitures continue de croître. Aujourd’hui, je pense que le réseau de transport a acquis une certaine maturité. Il est crucial d’observer l’évolution de l’habitat, des services, et des nouvelles formes de mobilité pour adapter et créer des services de transport complémentaires en conséquence.
Nous cherchons à optimiser le réseau et nos ressources. Cependant, il y a des coûts à considérer. Il est difficilement justifiable d’avoir des lignes où il n’y a qu’une seule personne par trajet. Bien entendu, pour la personne à bord, cela peut sembler anormal. Cependant, en tant que service public, notre objectif est de satisfaire le plus grand nombre d’utilisateurs dans la mesure du possible.
Nous utilisons notre système billettique pour enregistrer les montées des passagers. Cependant, pour ceux qui paient chaque jour, il est difficile de savoir exactement qui monte à bord.
Pour pallier cela, Aurélien tire des statistiques sur les 10 points de montée les plus fréquentés. En parallèle, je procède à des observations sur le terrain pour écouter les usagers et comprendre ce qu’il se passe concrètement.
Au cours des trois dernières années, avez-vous observé une augmentation des taux de montée de passagers dans les bus ?
Au fil des années, nous avons constaté une progression constante des taux de montée de passagers dans nos bus. En 2019, avant la pandémie, nous avions atteint 302 000 montées, puis ce nombre est passé à 342 000 en 2023. Malgré les défis de la reprise post-Covid, notamment les appréhensions des usagers, même en milieu rural, nous avons continué à voir une augmentation. Cette croissance est le résultat de notre travail continu avec l’équipe et les conducteurs pour améliorer le fonctionnement du réseau et accroître son utilisation.
C’est une grande fierté pour nous d’avoir mis en place, pour la première fois en Ardèche, un réseau urbain.
Nous avons véritablement apporté une valeur ajoutée au territoire en facilitant les déplacements vers les points stratégiques et les services publics. Nous avons reçu de nombreux retours, tous très positifs de la part des usagers mais aussi des communautés de communes environnantes.
Notre objectif principal est de garantir la satisfaction des usagers et d’encourager une utilisation accrue des transports en commun. A cette fin, nous avons intensifié nos efforts pour informer les voyageurs, que ce soit à propos des arrêts, des applications mobiles comme Hubup, ou encore à travers l’amélioration de la signalétique il y a quelques années.
Certaines communautés de communes de l’Ardèche vous ont sollicité pour obtenir des retours d’expérience concernant la mise en place du réseau Tout’enbus. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Nous avons servi de référence aux collectivités et aux transporteurs, notamment notre transporteur historique, Autocars Ginhoux, qui n’avait pas de réseau urbain avant le nôtre. Le service que nous avons développé ensemble lui sert de référence aussi.
Grâce à Aurélien, nous avons beaucoup progressé en nouvelles technologies, ce qui a été un atout majeur. Une meilleure connaissance du réseau permet son utilisation optimale. Si l’information n’est pas disponible, les gens ne peuvent pas utiliser le service. En communiquant efficacement sur nos actions, nous facilitons l’accès et l’utilisation pour tous.
L’architecture du réseau et les nouvelles communications ont vraiment fait la différence. Les réclamations ont chuté de 99%, passant d’environ 10 par jour à presque aucune aujourd’hui. En fait, nous recevons maintenant des retours positifs, ce qui montre que notre évolution est perçue favorablement.
Chaque année, notre bilan montre une amélioration constante du taux de ponctualité. Les conducteurs et les usagers connaissent mieux le réseau, et les outils mis en place comme Hubup permettent de justifier les retards.
Au global, nous pouvons observer un pic de réclamations à la rentrée scolaire, mais les applications de suivi rassurent les parents, qui peuvent vérifier en temps réel sur l’application Hubup si leurs enfants ont bien pris le bus. Cela apporte une sécurité supplémentaire pour tous les utilisateurs du service.